L'art public : études de cas

Le blog des étudiants du cours FAM4500 (UQAM)

VOILES de Jean-Jacques Besner, par Thierry Labonté

Jean-Jacques Besner, 1990, Montréal-Nord

Jean-Jacques Besner, Voile I et Voile II, 1990, Montréal-Nord
Acier inoxydable, éléments cinétiques (avant restauration)
Longueur 2,74 mètres x hauteur 4,88 mètres (chacune)

Les œuvres choisies, Voile I et Voile II, sont des sculptures cinétiques en acier inoxydable de l’artiste québécois Jean-Jacques Besner. Elles font partie de la collection d’art public de la Ville de Montréal. On peut les voir au parc Albert-Brosseau de Montréal-Nord, à l’angle des rues Albert-Brosseau et Drapeau, sur les berges de la rivière des Prairies.

Avant tout, un mot sur l’artiste vaudreuillois Jean-Jacques Besner (1919-1993). Diplômé de l’Université de Montréal, il a enseigné les mathématiques avant d’œuvrer comme concepteur industriel. Il a d’ailleurs dirigé le pavillon L’Homme à l’œuvre lors de l’Expo 67. Son travail, qualifié de néo-constructiviste, se retrouve dans plusieurs collections d’art autant en Amérique du Nord, qu’en Europe. Ses œuvres aux formes géométriques et linéaires présentent souvent des éléments cinétiques. Sa pratique interdisciplinaire intègre des thèmes poétiques comme le mouvement de l’eau et du vent, mais avec une approche très architecturale, qui bousculent nos références habituelles et notre rapport aux matériaux.

Au regard des Voiles de Jean-Jacques Besner, nous verrons comment le matériau utilisé, en relation au thème, soutien l’indécidabilité de l’œuvre. Nous verrons également une mise en abîme dans le choix de l’emplacement et l’impact de ces deux observations sur la réception de l’œuvre.

Tout d’abord, le choix de l’acier inoxydable en dualité avec le vent impose un rapport de force qui déjoue les lois de la nature et bouscule nos perceptions de celle-ci. La toile frêle mollit sous le ciel sans vent et cède à la moindre rafale un peu rude. Le métal quand à lui demeure dur et intransigeant, même au creux de l’orage. Parallèlement, son inertie et sa lourdeur rendent ces voiles impassibles au mouvement du vent. Aussi, par interaction, le passant est invité à manipuler avec amusement ce jeu de voiles dans un bruit sourd, ce qui le confronte à un paradoxe entre la représentation et le matériau utilisé.

Dans un deuxième temps, comme l’œuvre se trouve aux abords de la rivière des Prairies, nous pouvons voir une mise en abîme du thème de la voile en référence aux bateaux qui naviguent sur ce plan d’eau en saison estivale. Ce détournement est d’autant plus marqué par le fait que, de la rivière, les plaisanciers peuvent difficilement voir ces voiles d’acier et inversement, le spectateur ne voit pas complètement la rivière, laquelle est dissimulée par les nombreux arbres qui longent la berge. Cette forme de dissimulation additionnée des jeux d’inter-références ajoutent également à l’aspect ludique de l’œuvre.

Pour finir, l’œuvre a subi une restauration au début des années 2000. L’artiste étant décédé en 1993 et ce sans succession, c’est le Bureau de l’art public de la Ville de Montréal qui s’est chargé des travaux. Étrangement, les panneaux d’acier autrefois mobiles ont été soudés en place, figeant ainsi le rapport physique et ludique que les deux sculptures entretenaient avec le spectateur. Bien que le Bureau ait affirmé avoir agit sous les recommandations de l’artiste (décédé à l’époque rappelons-le), nous sommes en mesure de porter un nouveau jugement sur notre rapport à l’œuvre et de questionner son intégrité. L’objet enfanté par l’artiste a-t-il des droits?

Thierry Labonté

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Références :

Jean-Jacques Besner, http://www.metrodemontreal.com/art/besner/index-f.html, visité le 12 octobre 2009.

Art Investors Internationnal, http://artvoices.com/art4sale/besner.htm, visité le 12 octobre 2009.

3 commentaires»

  pratiquesactuelles wrote @

Je crois que l’intégrité de l’artiste devrait être respecté même après sa mort et que tout changement qu’une autre personne voudrait apporter devrait suivre la démarche qu’il avait entrepris. Par cet exemple, la ville de Montréal n’agit que selon ses propres intérêts sans tenir compte que la symbolique de l’oeuvre a été modifié et que celle-ci ne peut malheureusement plus interagir avec le public sous cette forme ludique d’un jeu que l’on pouvait manipuler.L’oeuvre reste seulement contemplative et la composition est figée par les pièces qui ne peuvent plus bouger.

  Gabriel Lalonde Savage wrote @

Je suis souvent passé près de ces sculptures en faisant du vélo sur la piste cyclable qui longe la rivière. J’ai constater que les panneaux d’acier n’ont pas tous été soudé en place et que l’œuvre a encore une certaine mobilité. Les morceaux, très lourds, sont difficiles à bouger et produisent un son extrêmement strident de métal qui grince. On dirait le cri d’une baleine. Bien que l’élément sonore ne soit peut-être pas une partie intégrante de l’œuvre dans son état de départ (elle manque probablement de graisse ou d’huile aujourd’hui), force est d’admettre que le son produit par les déplacements agît dans ce sens. Ces sont évoquent également les puissants signaux sonores des navires en mer. Je crois que les œuvres publiques les plus efficaces sont celles qu’on fini par s’approprier et qui marque le paysage comme des repères.

  pratiquesactuelles wrote @

Ton commentaire sur les repères que symbolisent les oeuvres publiques est tout a fait juste. Elles ponctuent ou balisent le paysage en quelque sorte. Certaines comme celles-ci nous invitent au jeu, au duel. Pour ce qui est de leur mobilité, je ne suis pas passé là récemment, ayant quitté le quartier depuis deux ans bientôt, mais je me ferai un plaisir d’aller débattre avec elles dès que je passerai par là, pour voir et peut-être réentendre ce chant. Merci pour ton apport.

Thierry


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